Le "Monde" : reportage sur la campagne de fouilles ULB 2022 au lac Titicaca

Retour aux actualités

Retrouvez  le reportage sur la campagne de fouilles ULB 2022 au lac Titicaca sous forme de diptyque:

- une notice en accès libre: https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/01/16/dans-le-lac-titicaca-une-mysterieuse-epave-du-xixe-siecle_6158093_1650684.html

- un reportage réservé aux abonnés: https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/01/16/le-lac-titicaca-devoile-enfin-ses-secrets_6158097_1650684.html

 

Projet Titicaca 2022 (ULB)

Autorización MCDyD-VI-DGPC-UHCM N° 036/2022

Le projet Titicaca, mis en œuvre depuis 2012 par l’Université libre de Bruxelles (ULB) en partenariat avec la Bolivie, a pour vocation « l’identification, l’étude et la valorisation du patrimoine subaquatique du lac Titicaca ». Entre 2012 et 2018, plus de 25 sites archéologiques ont été répertoriés, incluant des sites littoraux immergés et des sites d’offrandes allant de l’époque formative à l’époque républicaine. En 2022, la neuvième campagne de fouilles dans les eaux du lac, dirigée par Christophe Delaere (ULB, FNRS) et Marcial Medina Huanca (UMSA), a eu pour objectif la réalisation du diagnostic archéologique subaquatique du port de l’Île de la Lune (communauté de Coati) et du port préhispanique d’Ok’e Supu (communauté de Yampupata) situé en face de l’île du Soleil.

Cette année, gisant à 5 mètres de profondeur, c’est-à-dire à 3805 mètres au-dessus du niveau de la mer, une épave de 24,5 mètres de long et de 3,75 de large enfuie sous le sédiment a été localisée le 2 mai 2022 par les archéologue-plongeurs au pied du débarcadère républicain du port de Coati. De par ses dimensions et sa localisation, il s’agit probablement de la plus haute épave du monde jamais investiguée par l’archéologie. Son existence a été préalablement attestée, dans un premier temps, le 15 octobre 1968 par les plongeurs de la mission Cousteau (dont Albert Falco et Frédéric Dumas) et dans un second temps par Johan Reinhard en novembre 1981 et par Eduardo Pareja et Johan Reinhard en 1989.

D’après la tradition orale de la communauté de Coati, il existerait en réalité deux bateaux qui auraient sombré de nuit au pied du débarcadère de Coati au début du 20e siècle : le Marcela et le Jach’ a Émilia, c’est-à-dire la « grande » Émilia. Les descendants des témoins oculaires de l’évènement véhiculent la mémoire de ces deux bateaux : l’« Émilia » était une grande barge tractée par un câble par le « Marcela », et aurait transporté une cargaison de sable depuis la région de Puerto Acosta (Bolivie) en direction de Guaqui (Bolivie). La cargaison aurait dû ensuite être acheminée par voie ferrée à La Paz vers les industries verrières. D’après les sources historiques, Rosendo Melo (Sociedad Geográfica de Lima) évoque dans un article édité en 1914 le naufrage d’un bateau nommé « Émilia » appartenant à une entreprise minière, et les « Actes de la Haute Chambre des députés » de Bolivie évoque dans son édition de 1927 un litige autour de l’épave « Marcela », auparavant nommée « Aurora », qui aurait sombré 15 ans auparavant, c’est-à-dire vers 1912, dans les eaux du lac Titicaca. Cette dernière source nous informe également que le « Marcela / Aurora » a été renfloué des eaux du lac. Dans un ouvrage édité en 1952, Washington Cano évoque le lancement d’un bateau nommé « Aurora » en 1877, bateau qui pourrait correspondre à l’épave renflouée au début du 20e siècle.  

Les opérations d’archéologie ont permis d’investiguer l’Émilia. Les restes d’une grande coque en métal de grande dimension ont été dégagés. La cargaison est constituée de sable, et un câble en métal, attaché à la proue du bateau, a été identifié, confirmant la tradition orale. Toutefois, de par sa structure, ses dimensions et ses caractéristiques architecturales, l’étude a mis en évidence qu’il s’agit probablement des vestiges de la coque en métal d’un bateau à vapeur du 19e siècle. Celui-ci, probablement introduit au Titicaca dans les années 1870’ (et sans doute construit avant), aurait ensuite été racheté par l’entreprise minière qui l’aurait transformé en barge (en conservant sa coque d’origine) et qui l’aurait renommée en « Émilia ». À ce jour, il s’agit probablement de l’épave la plus ancienne jamais localisée dans les eaux du Titicaca. Les études post-fouilles qui seront menées durant les prochains mois permettront d’en apprendre plus sur son origine et sa structure initiale.

La seconde partie de la mission s’est ensuite consacrée à l’étude du secteur inca du port préhispanique d’Ok’e Supu identifié en 2016 par la mission. L’étude d’une nouvelle zone de dépotoir a permis de mieux comprendre la période de conquête du lac Titicaca par les incas, avec notamment la découverte de céramiques (Aryballe inca, Cuenco Lupaqa, etc.) et de deux haches incas ou pré-incas (≈ 1300-1450 PCN) dont l’une possède encore, de manière exceptionnelle, son manche en bois.

L’équipe 2022 était composée de Christophe Delaere (directeur, ULB/FNRS), Marcial Medina Huanca (codirecteur), Arnaud Bourguignon, Sergio Duran Chacon, Michael Habex, Rocío Villar Astigueta, Xavier Rambaud, Jorge Mendoza Mamani, Nelson Mamani Arias et Elvira Mayta Sarmiento. L’équipe bénéficie également de la collaboration de l’historien José E. Pradel B. pour l’étude des bateaux à vapeur.

La Paz, vendredi 3 juin 2022

Christophe Delaere et Marcia Medina Huanca