Le génome de quatre squelettes vieux de 8.000 et 3.000 ans éclaire l’histoire d’Homo sapiens en Afrique

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Des chercheurs de l’Université d’Harvard ont reconstitué le génome de quatre squelettes âgés respectivement de 8.000 et 3.000 ans. L’étude permet d’esquisser pour la première fois différents schémas de dispersion et de différenciation à travers l’Afrique subsaharienne.


Publiée dans la revue Nature, cette recherche est le résultat d’une collaboration multidisciplinaire et internationale à laquelle ont pris part des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles, du Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, de l’Institut royal des Science naturelles de Belgique et de l’Université de Yaoundé I. 

Un site essentiel

L’histoire démarre dans les années 1990, sur le site de Shum Laka, proche de la ville de Bamenda, au nord-ouest du Cameroun. Cet abri sous roche de 1200m2 est abrité derrière une chute d’eau, à 1600 m d’altitude sur le flanc d’un volcan. Le site est essentiel pour comprendre l’histoire de l’Afrique : c’est dans cette région qu’on situe l’origine de tous les peuples de langues bantoues. Ils l’auraient quittée il y a plus de 3.000 ans pour migrer jusqu’en Afrique du sud. La zone est pourtant à l’époque quasi inconnue sur le plan archéologique.

Professeur à l’Université libre de Bruxelles, Pierre de Maret dirige les fouilles sur le site de Shum Laka, en collaboration avec Els Cornelissen du Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren et Raymond Assombang de l’Université de Yaoundé. Entre 1991 et 1994, les chercheurs mettent au jour les plus vieux restes humains dont on dispose dans cette zone charnière entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale : 18 squelettes humains, appartenant à deux groupes de sépultures, l’un daté d’il y a approximativement 8.000 ans, l’autre de 3.000.

L’ADN de quatre squelettes

« Il était intéressant d’essayer de retrouver de l’ADN dans ces squelettes et de réussir à en reconstituer le génome à la fois pour découvrir de quelles populations actuelles ils pouvaient être les ancêtres ; et pour identifier les liens éventuels entre ces deux groupes de sépultures » souligne Pierre de Maret, CReA-Patrimoine, Faculté de Philosophie et Sciences sociales, Université libre de Bruxelles.

L’ADN se conserve toutefois difficilement dans un milieu chaud et humide, comme dans cette zone de l’Afrique. Après plusieurs tentatives infructueuses, une équipe de l’Université d’Harvard a pourtant réussi à reconstituer le génome complet de quatre de ces squelettes, deux datés de 8.000 ans, deux de 3.000.


Continuité dans l’occupation de la région

Les deux squelettes les plus vieux, qui avaient été inhumés l’un sur l’autre, sont ceux d’un enfant de sexe masculin d’approximativement quatre ans, et d’un adolescent d’environ 15 ans. Il apparaît qu’ils sont parents au quatrième degré. Les chercheurs ont découvert que l’adolescent a sur son chromosome Y un haplotype A00 extrêmement rare qu’on ne retrouve actuellement que dans la même région d’Afrique. C’est la première fois qu’on le trouve sur de l’ADN ancien.

Les deux squelettes plus récents sont ceux d’un garçonnet d’environ huit ans et d’une fillette d’environ quatre ans. Ils sont parents au deuxième degré, c’est-à-dire soit oncle/nièce soit tante/neveu.

Bien que séparés par près de 5.000 ans, les génomes de ces quatre individus sont très proches, ce qui indique une remarquable continuité dans l’occupation de la région.

Surprise : proche des pygmées d’Afrique centrale

Les chercheurs ont ensuite comparé ces données génétiques avec celles disponibles pour différentes populations à travers toute l’Afrique subsaharienne. « De manière surprenante, ces quatre génomes sont beaucoup plus proches de ceux des autres chasseurs-cueilleurs d’Afrique centrale (pygmées) que de populations d’agriculteurs bantous. Génétiquement, ces quatre individus sont proches du fond de peuplement ancien de l’Afrique de l’Ouest et en même temps, mais dans une moindre proportion, des ancêtres des chasseurs-cueilleurs « pygmées » d’Afrique centrale » constate Pierre de Maret.

Publiée dans le revue Nature, cette étude est précieuse : elle permet d’esquisser pour la première fois différents schémas de dispersion et de différenciation en quatre lignées principales de populations à travers l’Afrique subsaharienne. 

L’étude a réuni 33 auteurs issus de 8 pays différents et de multiples disciplines.

Les fouilles archéologiques avaient été soutenues par le FNRS, le MRAC et l’ULB.

Mark Lipson, et al., “Ancient West African foragers in the context of African population history,” Nature, DOI 10.1038/s41586-020-1929-1

Plus d'informations
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Contacts scientifiques :
Pierre de Maret, ULB
+ 32 (0)476 331 650
Pierre.de.Maret@ulb.be

Els Cornelissen, KMMA/MRAC
+32 (0)472 872 863
els.cornelissen@africamuseum.be