Belgique (Aiseau-Presles, sanctuaire)

Le sanctuaire gallo-romain de « La Taille Marie » à Aiseau-Presles


De 2011 à 2015, le site de « La Taille Marie » à Aiseau-Presles a été fouillé de manière exhaustive par l’Université libre de Bruxelles dans le cadre d’un programme d’étude consacré aux sanctuaires gallo-romains. Ces recherches ont été financées par le SPW (DGO4, Direction de l’Archéologie), la Faculté de Philosophie et Lettres de l’ULB (désormais Faculté de Philosophie et Sciences Sociales) et ont bénéficié de la collaboration de nombreux chercheurs et d’institutions associées. L’approche archéologique d’un site religieux dans un cadre programmé, sans contrainte ni de temps ni d’espace, a permis une fouille minutieuse, globale et la mise en œuvre d’une base de données cartographique (SIG) rassemblant l’ensemble des trouvailles.
Les objectifs initiaux étaient, d’une part, de recontextualiser des découvertes anciennes réalisées à cet endroit par des fouilleurs amateurs (O.R.A. de Mettet) et, d’autre part, d’aborder la religion gallo-romaine par le biais de l'étude d’un temple de nature privée ; en effet, la cartographie des vestiges connus dans les environs immédiats permettait d’emblée d'interpréter ce lieu de culte comme un sanctuaire lié à un vaste domaine agricole. Fouillée à la fin du 19e siècle par la Société archéologique de Charleroi, une villa située au nord-est, à 250 m, comporte au moins quatre bâtiments distincts et deux complexes balnéaires. Au nord-ouest, une nécropole et une tombe sous tumulus sont également connues par des sources anciennes. Les dimensions importantes du corps du logis de la villa et la présence de ce tumulus constituent de bons indicateurs du niveau de richesse des propriétaires du domaine.
Le sanctuaire de « La Taille Marie » a été installé de manière judicieuse sur une petite éminence dominant tout le vallon de la Biesme et le village actuel d’Aiseau : dépourvu d’enceinte, le site est toutefois limité de manière naturelle, à l’est par la rupture de pente marquant la vallée de la Biesme, directement au nord par un talus et à l’ouest par un petit vallon. Si un paléochenal a livré du mobilier daté de l’âge du Bronze, les premières activités religieuses ne remontent qu’à la fin du 1er siècle av. J.-C. : elles sont uniquement matérialisées par des zones d'épandage de mobilier archéologique ayant livré, notamment, plusieurs milliers de tessons de céramique, des monnaies, des fibules, des bijoux, des objets en fer et des restes fauniques. Ces objets semblent avoir été pour certains simplement déposés et abandonnés, pour d’autres enfouis dans le sol. Un intéressant lot groupé de soixante pots miniatures en céramique était associé à du monnayage du début de l’Empire. Des analyses chimiques semblent confirmer que ces récipients ont contenu des offrandes liquides, notamment du vin. Ce premier lieu de culte, en aire ouverte, sera fréquenté jusqu’à la fin du 1er siècle apr. J.-C. 

Fig. 1. Le site archéologique de « La Taille Marie » dominant le village d’Aiseau, depuis le sud ; à droite, la vallée de la Biesme ; à l’arrière-plan le terril de Roselies et la vallée de la Sambre (© ULB).

Un temple est ensuite construit au même endroit, dans les années 100/110 apr. J.-C. et l’aire sacrée est alors empierrée. Plusieurs dépôts religieux y ont été mis au jour, comprenant des restes de charbon, des vases complets, des monnaies ainsi que des macro-restes, interprétés comme des offrandes ou des restes d’activités religieuses déposés en fosse après cérémonie. Le 3e siècle semble correspondre à l’apogée du sanctuaire, qui s’étend désormais sur 20 ares, avec une extension vers l’ouest marquée par la construction d’un bâtiment sur poteaux sans doute multifonctionnel (cuisine, salle à banqueter, lieu pour s’abriter et/ou entrepôt). Plus à l’ouest encore, la partie du site marquée par le vallon correspond à un secteur périphérique, caractérisé par la présence de fosses détritiques et d’extraction de limon ainsi que d’un atelier lié au travail du fer. 
L’originalité du sanctuaire tient surtout dans la présence de centaines de socs d’araire miniatures, en fer, répartis sur l’ensemble du site. Tous ces objets semblent avoir été enfouis dans le sol, parfois emboités les uns dans les autres. Un soc grandeur nature a par ailleurs été découvert au sein de l’aire sacrée. Si leur présence était reconnue dans le cadre de pratiques rituelles à l’âge du Fer, leur miniaturisation et leur usage religieux n’étaient pas encore attestés à l’époque romaine. Ces objets votifs pourraient avoir été confectionnés sur place, comme en témoignent les traces d’activités métallurgiques découvertes sur le site. On notera encore la longévité de ce rite durant toute l’existence du sanctuaire, de la fin du 1er siècle avant notre ère jusqu’à la seconde moitié du 4e siècle apr. J.-C. 

Fig. 2a. Statuette en alliage de cuivre représentant la déesse Victoire au moment de sa découverte (© ULB).
Fig. 2b. Statuette en alliage de cuivre représentant la déesse Victoire (© ULB).
Fig. 3. Socs d’araire en fer miniatures (© ULB).

En conclusions, les fouilles auront permis d’appréhender un sanctuaire de villa, jusqu’alors inédit et de mieux percevoir l’évolution des rites gallo-romains de cette partie de l’Empire. Les niveaux archéologiques de la fin du 1er siècle av. J.-C. ont permis par ailleurs de mieux caractériser la culture matérielle de la cité des Tongres durant cette époque, en pleine reconstruction suite au passage de César. Ce type de lieu de culte, lié à de grands domaines ruraux et parfois qualifié de « rural », demeure peu connu archéologiquement. Si la gestion de ces chapelles et l’organisation des cultes qui s’y pratiquent incombaient aux propriétaires du domaine, des sources littéraires antiques indiquent que certains de ces sanctuaires étaient communautaires et fortement fréquentés. À Aiseau-Presles, la forte concentration de mobilier religieux, notamment les centaines de socs d’araire déposés autour du temple, nous laisse penser que le sanctuaire était apparenté à un petit lieu de pèlerinage, abritant une divinité locale (dont le nom nous échappe) que l’on venait implorer dans un cadre bien spécifique, peut-être lié à la fertilité. 


Contact : Nicolas Paridaens