Thuin

La fortification laténienne du « Bois du Grand Bon Dieu » à Thuin


Considéré tantôt comme l’oppidum des Aduatuques tantôt comme une place forte nervienne, le site archéologique du « Bois du Grand Bon Dieu » à Thuin fait aujourd’hui l’objet de nouvelles recherches menées par l’Université libre de Bruxelles, en partenariat avec l’Agence Wallonne du Patrimoine (Service public de Wallonie) et la Ville de Thuin.

Le « Bois du Grand Bon Dieu » se présente comme un promontoire de 13 ha surplombant la Biesmelle, un affluent de la Sambre qui encercle l’éminence au sud-est, au sud et à l’ouest. Défendue naturellement par des versants abrupts sur quatre de ses cinq côtés, la fortification est barrée à l’est par un rempart rectiligne, orienté nord-sud, constitué d’un fossé et d’une levée de terre de 3 m de haut encore conservée sur 40 m. L’entrée se situe côté nord tandis qu’un autre accès est envisageable à l’est, à l’emplacement du chemin actuel.

Le site est connu dès les années 1960 pour son occupation néolithique et sa nécropole gallo-romaine. La fortification de l’âge du Fer n’est pour sa part identifiée qu’en 1980, suite aux travaux de M. Conreur et à la découverte fortuite d’un trésor monétaire. Une unique coupe archéologique est alors pratiquée dans la levée de terre orientale par l’ULB en 1981, venant confirmer, par une série de dates C14, son attribution au second âge du Fer. Le trésor de 73 statères d’or sera quant à lui acquis par la Fondation Roi Baudouin et confié aux Musées royaux d’Art et d’Histoire. 

Fig. 1 . Thuin - « Bois du Grand Bon Dieu ». Coupe réalisée en 1981 dans le rempart oriental, vue depuis le sud (© Université libre de Bruxelles).

Au cours des décennies suivantes, le site, réputé pour son mobilier métallique gaulois, fait l’objet de pillages récurrents : deux autres « dépôts » de statères et des centaines de monnaies isolées, auxquels s’ajoutent quelques objets de parure, sont découverts par des détectoristes. Les recherches clandestines s’étendent désormais aussi au « Bois de Luiseul », situé directement au sud de la fortification, et échappent malheureusement à la communauté scientifique.

En 2012, l’abondance du monnayage en or et la superficie de la fortification amènent plusieurs chercheurs à reconnaître dans le « Bois du Grand Bon Dieu » l’oppidum des Atuatuques dont l’attaque a été relatée par César. La présence de balles de fronde en plomb d’une part, la chronologie du rempart et du mobilier d’autre part, constituent, selon eux, des indices supplémentaires corroborant les données historiques. L’hypothèse se heurte toutefois à la surreprésentation du monnayage nervien –les Atuatuques ne frappant pas monnaie– et à la position même de Thuin aux confins du territoire nervien. 

Depuis 2018, un programme de recherche est consacré à la compréhension globale du site archéologique mais aussi à sa protection et sa mise en valeur. Ces recherches ont été motivées par les attentes de la population locale, des autorités communales et régionales ainsi que par celles du monde scientifique, désireux de voir un projet dévolu à ce site protohistorique de renommée internationale faisant malheureusement toujours l’objet de pillages. 

De juin à août 2018, une première campagne d’investigation a été menée dans le « Bois du Grand Bon Dieu » et dans le « Bois de Luiseul ». Quatre zones ont été ouvertes sur base de critères topographiques et d’accessibilité, le site étant à l’heure actuelle complètement boisé. Ces tranchées diagnostiques, de plusieurs dizaines de mètres carrés chacune, avaient pour objectif de renseigner sur la stratigraphie générale du site et d’aboutir, à long terme, à une cartographie des vestiges archéologiques. Enfin, des prospections géophysiques ont été conduites au niveau de la porte orientale mais ne permettent toujours pas de réfuter sa présence à l’âge du Fer.

Hormis quelques traces modernes, aucune structure archéologique n’a été rencontrée au sein des sondages. En revanche, une grande quantité de mobilier a été récoltée dans l’horizon superficiel du limon en place ainsi que dans d’épaisses colluvions couvrant la partie sud du plateau. 

Sur l’ensemble du site, ce mobilier se répartit de façon homogène selon deux périodes : le Néolithique moyen et l’époque gauloise. La « culture du Michelsberg » est caractérisée par quelques tessons de céramique et plusieurs dizaines d’outils en silex. Ces artefacts (pointes de flèches, lames, haches polies, grattoirs, nucléi...) témoignent d’une occupation étendue à l’ensemble du plateau du « Bois du Grand Bon Dieu » et limitée à l’est par un fossé palissadé mis en évidence lors du sondage de 1981. L’époque laténienne est marquée par de nombreux tessons de céramique, des monnaies et quelques objets métalliques. Le répertoire céramique se compose de pots globulaires à col concave, de dolia éclaboussés et peignés à bord rentrant ou évasé et de quelques exemplaires de céramique fine décorée. Un premier examen permet d’attribuer ces individus à la fin de l’âge du Fer. La fouille a permis en outre de récolter de nombreuses balles de fronde en plomb, datées de l’époque romaine, réparties sur l’ensemble de la fortification.

Le monnayage n’est appréhendable que par les découvertes anciennes issues de la fortification du « Bois du Grand Bon Dieu » et du « Bois de Luiseul » : les trois « dépôts » (?), appelés « Thuin 1 », « Thuin 2 » et « Thuin 3 », sont majoritairement composé de statères à l’epsilon de type Scheers 29, attribués aux Nerviens. D’autres types de statères, des quarts de statères, des bronzes au rameau, un quinaire d’argent à légende SEQVANOIOTVOS et des potins au rameau sont également renseignés. Des dizaines de monnaies gauloises en bronze et en or, sans localisation précise, sont encore répertoriées dans des collections privées.

Si l’on envisage que Thuin est une fortification atuatuque, la surreprésentation du monnayage nervien est évidemment problématique : doit-on en conclure que les Atuatuques utilisaient essentiellement des monnaies nerviennes ? Et comment concilier cette hypothèse avec la localisation présumée des Atuatuques plus à l’est, selon d’autres critères ? Par ailleurs, la chronologie des monnaies en question est-elle suffisamment précise que pour situer leur enfouissement au moment de la Guerre des Gaules ? Doit-on, au final, réfuter l’hypothèse de l’oppidum des Atuatuques ?

Les fouilles en cours, encore très superficielles, montrent une absence de structures archéologiques au cours de l’âge du Fer, ce qui s’expliquerait par une occupation temporaire du site –sans doute dans un but défensif plutôt que sous forme d’habitat pérenne. Si la typologie des balles de fronde romaines ne permet pas de les rattacher de manière certaine à l’époque de la Guerre des Gaules, leur présence, la superficie de la fortification et la datation du rempart impliquent en tout état de cause un évènement militaire d’une certaine ampleur à la fin de l’âge de Fer, voire dans les années qui suivirent directement la Conquête. Les nombreuses monnaies et les objets de prestige témoignent quant à eux d’une fréquentation du site par des élites. Leur déposition, notamment dans les versants abrupts du « Bois de Luiseul », pourrait s’expliquer par des gestes rituels.

Fig. 2 . Thuin - « Bois du Grand Bon Dieu ». Tranchée en cours de fouille en 2018 (© Université libre de Bruxelles).

Atuatuques ou Nerviens ? Espérons que l’analyse du mobilier récolté à Thuin en 2018 et dans les années à venir permettra de mieux caractériser les populations qui s’y sont réfugiées et d’affiner la date de fréquentation du site. Si certains détails correspondent aux descriptions des Commentaires de César à propos de l’oppidum des Atuatuques, d’autres hypothèses sont encore, à l’heure actuelle, envisageables.

Une importante campagne de sensibilisation au patrimoine archéologique est conduite auprès des écoles de la Ville de Thuin et de la population locale. Plusieurs centaines d’enfants et de Thudiniens sont ainsi concernés par les enjeux de la sauvegarde de ce site protohistorique majeur, menacé par les activités et loisirs qui s’y déroulent ainsi que par les pillages engendrés par l’utilisation des détecteurs de métaux.

Contact : Nicolas Paridaens

Bibliographie sélective

-    BONENFANT P.-P. & HUYSECOM E. - 1982. Retranchements préhistoriques à Thuin (Hainaut). Campagne de fouilles 1981. Annales d’Histoire de l’Art et d’Archéologie de l’Université libre de Bruxelles IV, p. 103-113.
-    CONREUR M. - 1981. L’oppidum du Bois du Grand Bon Dieu à Thuin. Études et Documents, Centre d’Histoire et d’Art de la Thudinie, 25.
-    DELTENRE L. - 1967-1968. Les monuments religieux de Thuin et leur mobilier. Documents et Rapports de la Société royale d’Archéologie et de Paléontologie de Charleroi LIII, p. 9, p. 311 et pl. I.
-    FAIDER-FEYTMANS G. - 1965. La nécropole gallo-romaine de Thuin (Fouilles du Musée de Mariemont, II), Morlanwelz.
-    MARTIN F. - 2017. Atuatuques, Condruses, Éburons... Culture matérielle et occupation du sol dans le territoire de la future civitas Tungrorum de la fin de l'âge du Fer au début de l'époque gallo-romaine (Thèse de doctorat inédite), Université libre de Bruxelles.
-    SCHEERS S., CREEMERS G., ROYMANS N. & VAN IMPE L. - 2012. Three gold hoards from Thuin. In : ROYMANS N., CREEMERS G. & SCHEERS S. (eds), Late Iron Age gold hoards from the Low Countries and the Caesarian conquest of Northern Gaul, Amsterdam (Amsterdam Archaeological Studies 18), p. 71-108.
-    VAN HEESCH J. - 1991. Le trésor gaulois de Thuin. De Gallische schat van Thuin. Bruxelles, Fondation Roi Baudouin.