Titicaca (Bolivie)

 

Introduction


Souvent considérées comme des « cultures de la terre » (élevage, pastoralisme, etc.), les sociétés préhispaniques du lac Titicaca ont, en réalité, développé, de nombreuses pratiques propres à des « cultures de la mer » (navigation, pêche, offrandes, etc.). Cette observation est à l’origine du projet archéologique au lac Titicaca qui a pour vocation d’intégrer le facteur lacustre dans l’interprétation des sociétés andines de l’Altiplano bolivien.
La volonté d’explorer le fond lacustre du Titicaca dans une démarche archéologique n’est pas une idée récente. Dès l’apparition et la maîtrise de nouvelles techniques permettant d’accéder — grâce au scaphandre autonome — à ce territoire jusqu’alors inaccessible, de nombreuses expéditions ont été conduites dans les eaux mythiques du lac Titicaca entre 1954 et 2004, dont celle du commandant Jacques-Yves Cousteau en 1968 et celle de Johan Reinhard du National Geographic entre 1989 et 1992. Malgré ces nombreuses expéditions, un seul site archéologique immergé a été découvert (en 1977).
Cette histoire de la recherche et de l’exploration subaquatique au Titicaca constitue un héritage important et une expérience non négligeable sur lequel a pu être formulé un nouveau projet de fouilles mené par ULB entre 2012 et 2014 (Proyecto Huiñaimarca) et dans sa continuité, un second projet entre 2016 et 2018 (Proyecto Titicaca) en collaboration avec la Coopération Technique Belge-CTB.

En 2012, l’ULB introduira pour la première fois les techniques de fouilles proprement dites dans le sédiment du lac. Couplée à la mise en place de modèles prédictifs, cette stratégie a permis de localiser entre 2012 et 2018 au moins 24 sites archéologiques immergés inédits (Fig.1) et de découvrir plus de 21.000 objets et fragments d’objets allant de la période pré-Tiwanaku (300-1150 AD) à la période inca (1400-1532 AD). 

Ces interventions ont représenté plus de 253 jours d’opérations sur le lac, 1902 heures de plongées et 1613 immersions. À ce jour, après la 8e mission qui s’est clôturée au mois d’août 2018, 427 m2 de superficie ont été investigués et plus de 60 km2 de superficie ont été prospectées par des méthodes géophysiques. Parmi les sites immergés découverts, nous comptabilisons des sites d’offrandes, des sites portuaires, des sites d’ateliers spécialisés et des sites d’occupation humaine (villages)… aujourd’hui immergés par les eaux du lac. Le Titicaca renferme bien un patrimoine historique exceptionnel dont seul un pourcentage infime a seulement été étudié depuis 1954. Le prochain programme de recherches sera mis en œuvre à l’horizon 2020.

Carte : sites archéologiques inventoriés par le projet ULB (2012-2014) et Enabel/ULB (2016-2018) (C. Delaere 2018)


Le lac Titicaca


Le bassin lacustre du Titicaca, partagé entre le Pérou et la Bolivie, est un territoire d’altitude : les eaux du lac culminent à 3810 mètres au-dessus du niveau de la mer et couvrent une superficie de plus de 8.560 km2. Cette vaste étendue d’eau n’était pas une contrainte : au contraire, elle a contribué au développement d’une douzaine de civilisations Elle a favorisé l’occupation de ses rives et de ses îles en générant un écosystème à part entière au sein d’un territoire semi-aride, et a offert à l’homme de nombreuses « opportunités matérielles » propices à l’occupation humaine. 

 

Fig. 1 : Offrande subaquatique moderne (~1940'), lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)
Fig. 2 : Fouilles archéologiques subaquatiques, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)
Fig. 3 : Unité de fouilles, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)
Fig. 4 : Plongeur-archéologue, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)

 


Objectifs et méthode du Projet de fouilles


Les fouilles réalisées au lac Titicaca ont pour objectif de localiser, identifier et étudier les occupations anciennes de l’espace littoral du bassin lacustre depuis la période formative (800-200 BC) jusqu’à la période inca (1400-1530/1550 AD). L’approche méthodologique du projet, utilisant le concept de paysage culturel lacustre, a en effet mis en exergue l’importance d’intégrer l’étude des sites littoraux précolombiens, aujourd’hui immergés sous plusieurs mètres d’eau, au sein d’un paysage culturel et matériel homogène. 

Le projet de recherche propose une analyse originale de données inédites issues des fouilles archéologiques subaquatiques menées au lac Titicaca depuis 2012 par l’ULB. Le concept de paysage culturel lacustre s’appuie sur une approche analytique et une réflexion concertée entre géosciences et archéologie à toutes les étapes du travail de recherche, depuis la stratégie de collecte des données (sondages stratigraphiques) jusqu’à leur traitement. L’étude des dynamiques de peuplement du bassin lacustre ainsi que celle des mutations politiques, économiques, sociales et religieuses sont en effet indissociables de l’étude des mutations du paysage liées aux fluctuations du lac Titicaca à travers le temps.

Actuellement, le projet se concentre, en particulier, sur les périodes de ruptures ou de « crises » qui se traduisent d’un point de vue environnemental par des événements d’inondations et d’exondations, et d’un point de vue sociétal par des périodes de tensions extrêmes de la société allant de la transformation du système sociopolitique et religieux à l’effondrement de celui-ci. L’évaluation de la résilience, ou en d’autres mots la capacité sociétale à résister ou à s’adapter à un événement abrupt ou progressif (résilience sociale, culturelle, environnementale, etc.), est l’un des thèmes majeurs de ce projet de recherche, qui vise à réévaluer la trajectoire historique du bassin lacustre. 

Fig. 5 : Relevés subaquatiques, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)
Fig. 6 : Étudiante bolivienne, projet de coopération belge, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)
Fig. 7 : Communauté bolivienne sur le site de fouilles, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)
Fig. 8 : Réunion sur le bateau-support, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)

 

 

Le projet 2012-2014 (Projet Huiñaimarca) (ULB/NEMO33)


Le Projet Huiñaimarca est, à l’origine, un projet de recherche doctoral mené entre 2012 et 2014 par Christophe Delaere. Le projet de recherche s'est concentré sur l'étude d'une culture pré-Inca, Tiwanaku, dont les phases d'apparition, de transformation et d'achèvement étaient intrinsèquement liées aux facteurs paléoenvironnementaux qui ont marqué le rythme de l'histoire de l'occupation du bassin du lac Titicaca. Le projet s’est rapidement développé et sera à l’origine du Projet Titicaca 2016-2018 qui s’inscrit dans la continuité et l’approfondissement des recherches doctorales. Depuis 2012, le projet est mené en étroite collaboration avec le Ministère de la Culture et du Tourisme (MCyT) à travers l'Unité d’Archéologie et des Musées (UDAM) du Vice Ministère de l'Interculturalité, ainsi que celle des communautés locales et des municipalités.

 

Fig. 9 : Kit d'un tailleur de pierre Tiwanaku (500-1150 PCN), lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)
Fig. 10 : Mobilier et restes humains issus d'une tombe Tiwanaku (500-1150 PCN), lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin)
Fig. 11 : Mise en place du chantier, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Teddy Seguin

 

Le projet 2016-2018 (Projet Titicaca) (ULB/CTB)


Dans le cadre du Projet Titicaca/Projet du lac, financé par la Coopération Belge et exécuté par la Coopération Technique belge – Enabel (CTB-Enabel), « l’identification et l’inventaire du patrimoine culturel subaquatique et côtier du bassin lacustre » constituaient l’une des principales activités. En effet, afin d’étudier, valoriser et protéger ce patrimoine méconnu, le premier travail de l’archéologue était de réaliser un inventaire et une expertise de celui-ci. La réalisation de cet objectif a été mise en œuvre par différentes actions menées conjointement :

 

•    R.1.2. Projet de prospections archéologiques subaquatiques – cartographie (ULB)
•    R.1.3. Projet de prospections archéologiques du littoral (CTB/ULB)
•    R.1.4. Projet de fouilles archéologiques subaquatiques – sondages (ULB)
•    R.1.1. Création d’une école d’archéologie subaquatique (ULB)
•    R.1.5. Création d’un centre de gestion du patrimoine culturel lacustre (CTB/ULB)

Site web du projet du lac

 

Équipe scientifique 2018


L’équipe 2018 était constituée de Christophe Delaere (directeur), Marcial Medina Huanca (codirecteur), Bérenger Debrand Bonapetit, Arnaud Bourguignon, Sylvie Byl, Laurent Masselin, Pascal Laforest, Teddy Seguin, Xavier Rambaud, Marie-Julie Declerck, Aline Huybrechts, Ruth Fontenla Álvarez, Elvira Mayta Sarmiento, Nelson Mamani Arias, Jorge Mendoza Mamani, José Capriles Flores, Arthur Mouquet, Julien Bruffaerts, Céline Léonard, et Nestor Ticona Canllagua.

 

École d’archéologie subaquatique


La création d’une école d’archéologie subaquatique ULB au lac Titicaca est une étape primordiale pour la pérennisation des activités de gestion et d’étude du patrimoine immergé bolivien menées dans les eaux du lac depuis 2012. L’objectif de cette école est la mise en œuvre d’un programme visant à former des plongeurs boliviens spécialisés en archéologie subaquatique. Cette formation implique non seulement l’apprentissage d’acquis techniques propres à la plongée, mais également d’acquis théoriques, méthodologiques et pratiques propres à l’archéologie subaquatique. La formation « sportive » est supervisée par le Centro de Instrución de Buceo en Altura (CIBA) et la formation d’archéologie subaquatique est supervisée par l’ULB. 

À l’heure actuelle, six étudiants en archéologie de l’Universidad Mayor San Andrés (UMSA) ont bénéficié de cette formation : Ivanna Castro Prieto, Karen Lucero Mamani Condori, Sergio Duran Chacon, Usziel Leslie De La Fuente Arias, Debora Mattos Droguet et Katherine Bullain Miranda. Cette première promotion d’archéologues plongeurs constitue la première équipe nationale formée et équipée pouvant se consacrer à la gestion, l’étude et la protection du patrimoine subaquatique de Bolivie. Elle pourra non seulement intervenir dans les eaux du lac lors d’actions d’archéologie préventive suite à des découvertes fortuites, mais également lors de missions d’archéologie planifiées, qu’elles soient nationales ou étrangères.

Fig. 12 : Équipe scientifique et technique 2016-2018, lac Titicaca, Bolivie (Photo : Lise Nakhlé).

 

Projet du Musée Subaquatique Titicaca (IDDA/ULB)


Autant la première étape des opérations menées dans les eaux du lac Titicaca a eu pour objectifs – entre 2012 et 2018 – de localiser, identifier et étudier le patrimoine immergé (ULB), autant la prochaine étape aura pour objectif de gérer, valoriser et protéger ce patrimoine en favorisant à la fois le partage des connaissances, mais aussi la jouissance et l’accès à ce patrimoine (ULB/CTB/UNESCO).
Toutes les conditions sont actuellement rassemblées pour concrétiser le projet de « Musée subaquatique » au lac Titicaca. Celui-ci, actuellement en procédure d’exécution (IDDA/ULB/UNESCO) se voudra polyvalent et pluridisciplinaire, et rassemblera au sein d’un même complexe tous les services nécessaires à la recherche, la gestion et la promotion du patrimoine. Ce projet bénéficie du soutien de la convention de 2001 de l’UNESCO.

Présentation vidéo du projet du Musée 
Site Web IDDA 

 

Contact Projet Titicaca

Christophe Delaere (Direction)
Pr. Peter Eeckhout (Directeur de recherche)