Alba Fucens

 

Le site


Le site d’Alba Fucens, blotti au cœur de l’Italie au pied des Apennins (Abruzzes), est une des plus anciennes colonies militaires romaines. Fondée en 304/3 av. n. ère afin de contrôler le territoire des populations èques, la ville suit un urbanisme régulier. Entourée d’un puissant rempart en blocs polygonaux, la cité a été subdivisée en longs îlots suivant les deux grandes rues principales, la Via del Miliario et la Via dei Pilastri. Une série de grandes places scandent le relief du Nord au Sud : la Terrasse nord, le forum, le sanctuaire d’Hercule et le sanctuaire aux dieux orientaux. Le site a été détruit au Bas-Empire par un terrible tremblement de terre dont les traces archéologiques sont parfaitement reconnaissables. Le même destin tragique frappera en 1915, lorsque le village médiéval, implanté sur l’ancienne acropole, fut rasé. 


L’historique des recherches


Les campagnes de recherches archéologiques menées par le CReA-Patrimoine, en collaboration avec les Musées Royaux d’Art et d’Histoire, sont le résultat d’une invitation de la Soprintendenza Archeologia, Belle Arti e Paesaggio dell’Abruzzo, suite à la reprise des fouilles et à l’exposition organisée à l’Academia Belgica de Rome et aux Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles en 2006/7. Ces fouilles avaient été commencées par des Belges en 1949, à l’instigation de l’Academia Belgica et de l’Université Catholique de Louvain (Fernand De Visscher, Franz De Ruyt), avec des campagnes régulières menées par Joseph Mertens jusqu’en 1979. Des membres de l’équipe ont, dès le début, appartenu à l’ULB, comme Jean Bingen et, un peu plus tard, Jean Ch. Balty, qui fut co-directeur pendant plusieurs années.

Fig. 1. Le centre-ville avec le sondage du CReA en avant-plan à droite


Aujourd’hui


Nos recherches concernent la zone du forum, la moins connue de toute la colonie. Nous avons dès le départ choisi de nous concentrer sur le côté occidental de la place, au sud de la « schola » fouillée par J.Ch. Balty en 1960. Deux nouveaux bâtiments ont été dégagés. Le premier, la « Salle aux Colonnes », très monumental, est pavé d’une mosaïque blanche et orné de deux rangées de trois colonnes d’ordre corinthien. Le second, la « Salle aux Marbres» possède les mêmes dimensions que la schola, soit la moitié de la pièce précédente. Ses murs étaient recouverts dans leurs parties basses de crustae en marbre et son sol pavé de grandes dalles de marbre de Carrare gris à l’avant, et d’un opus sectile de marbres de couleurs à l’arrière, le tout témoignant d’un luxe ostentatoire dans la décoration. L’ensemble des trois salles donnait sur un portique mosaïqué devant lequel passait la Via del Miliario, effectuant la transition avec la place du forum. À l’arrière, elles étaient accolées à un mur jouxtant un grand égout, accolé à un puissant mur de terrasse en polygonal. Au niveau supérieur (de cette dernière) court la Via Nova. La « Salle aux colonnes » était probablement une grande salle de réceptions et banquets pour des magistrats de la cité ou des membres d’un collège professionnel ou religieux. La fonction religieuse de la « Salle aux Marbres» nous a été révélée par la présence d’une abside au fond de la pièce. Derrière celle-ci, nous avons fouillé avec l’aide d’un archéo-spéléologue un puits de 5 m de profondeur, qui a livré quantité de matériel (cruches en terre cuite pratiquement entières, ustensiles en bois, monnaies, lampes, monnaies, etc). La « Salle aux Marbres» fut utilisée après le tremblement de terre comme dépotoir, dont le riche matériel témoigne de la réoccupation du site jusqu’au début du VIe siècle de notre ère. Nous avons, en 2011, dégagé les restes fragmentaires d’un important document administratif (les Fasti Albenses), jetés sur la mosaïque du portique devant la « Salle aux Marbres ». Il s’agit d’un grand calendrier complété par une liste des consuls de Rome, le tout peint en capitales rustiques rouges sur un enduit blanc de pas moins de 4,50 mètres sur 3. Outre la fouille de ces salles, du portique le précédant, et l’investigation de leurs liens avec leur environnement immédiat (Via del Miliario et forum), nous menons également une nouvelle étude de l’impressionnant circuit des égouts souterrains de la ville.
Le site est extrêmement riche et livre toutes sortes de matériel, de la terre cuite au verre en passant par les fresques, le bois et le métal. Inscriptions, monnaies, ossements et autres sont traités sur place grâce à l’aide de spécialistes des disciplines concernées et d’une équipe de restauratrices
 

 

Fig. 2. La partie supérieure du calendrier avec les calendes d'avril à juillet


Restauration - conservation


La mission archéologique d’Alba Fucens intègre deux équipes de restauratrices qui participent pleinement à l’étude et à la reconstitution des objets, et sont chargées de leur nettoyage, restauration, et conditionnement. La première est constituée d’Isabelle Vranckx (ENSAV – La Cambre) et d’étudiantes – stagiaires en restauration, la seconde comprend des restauratrices des Musées Royaux d’Art et d’Histoire (Isabella Rosati et Stéphanie Caeymaex). Outre le travail sur le site lui-même (préservation des murs, sols, enduits peints et placages), quatre thématiques principales sont suivies depuis 2017 : les Fasti Albenses, les objets et placages de marbre, la céramique, la conservation et le conditionnement.
Les Fastes (comprenant un calendrier et une liste de consuls) sont conservés en centaines de fragments d’enduit blanc sur lequel des inscriptions ont été peintes à sec. Ces dernières sont très mal conservées et se sont révélées être d’une fragilité extrême, ce qui rend le puzzle de cet immense ensemble (4,50 x 3 m. originellement), lacunaire qui plus est, particulièrement ardu. Nous avons pour la première fois étalé tous les fragments et essayé de les placer sur notre modèle de la structure originelle. En effet, jusqu’à présent, seules des portions isolées du calendrier avaient été assemblées. Cette opération a permis d’identifier et de replacer une très grande partie des fragments aux emplacements appropriés. Parallèlement, un travail très minutieux de nettoyage des restes de centaines de fragments non traités a été poursuivi afin de tenter de les insérer dans la structure.
Nous tentons également de reconstituer les plaques de revêtement mural de la salle aux marbres.  Après avoir regroupé les fragments par matières, les différentes US ont été mélangées afin de repérer les assemblages possibles et effectuer les collages. Une quinzaine de plaques et plinthes ont ainsi pu être partiellement reconstituées.
Afin de les conserver le plus adéquatement possible, nous avons découpé des plaques de polypropylène alvéolaire et fixé sur le pourtour des marbres des plots qui permettent d’une part d’empêcher que les marbres ne bougent et d’autre part de superposer les plaques alvéolaires dans le local de stockage. 
En vue de la prochaine ouverture du musée sur le site, une liste de céramiques à exposer, parmi les plus intéressantes, a été établie. Certaines d’entre elles nécessitent d’une restauration plus aboutie et une première pièce à traiter a été choisie : l’assiette en sigillée africaine AF 08-078-08. Après avoir consolidé les collages ayant mal résisté à l’humidité ambiante, un bouchage en retrait et des retouches de couleur ont été effectués.

 

Fig. 3. Plaques de revêtement mural de la salle aux marbres - assemblage et recollage
Fig. 4. Sigillée avant et après recollage
Fig. 5. Bouchage avec retrait et retouches de couleur

Contact : Cécile Evers